La scène d’ouverture de votre roman ou de votre nouvelle est cruciale. Elle doit être bien écrite, accrocheuse et évocatrice. Parfois, quoi que vous tentiez, votre ouverture ne démarre pas l’histoire de façon appropriée. Ce n’est pas forcément dû à une lacune dans votre aptitude à écrire, mais peut refléter une narration mal construite.
Nombre de gens pensent que leurs histoires sont immuables. Dans leur esprit, la narration n’existe pas en dehors des limites qu’ils ont choisi pour le début et la fin. Cela peut aveugler l’auteur quant quant aux structures possibles qui pourraient aider durant une réécriture. Parfois l’histoire manque simplement de contexte, alors que celui-ci pourrait être fourni par une scène se produisant avant le début actuel de l’histoire.
Les écrivains ne sont pas des robots. Nous investissons notre ego dans ce que nous créons. Toutefois, si vous voulez faire de l’écriture votre métier, il faut vous dissocier de l’ouvrage. Traitez-le comme une maison que vous repeignez. Parfois vous ratez un endroit, ou il vous faut appliquer une nouvelle couche de peinture, ou — Dieu nous en garde — vous vous rendez compte que vous ne vouliez pas vraiment de cette couleur.
Vous devez être prêt à retrousser vos manches et faire tout le nécessaire pour mener la tâche à bien. Ce ne sont que des mots dans un traitement de texte. N’ayez pas peur de réessayer de crainte d’empirer les choses. Une des choses merveilleuses avec l’écriture, c’est qu’elle ne peut pas empirer — seulement s’améliorer (assurez-vous de faire des sauvegardes avant de réviser, ainsi l’original n’est pas en danger).
Une fois prêt à tout reprendre, voici des suggestions pour faire partir votre ouvrage du bon pied.
Bien, nous sommes prêts à commencer l’histoire. Tout d’abord, regardez autour de vous et trouvez votre lecteur. Visualisez-vous ce lecteur dans votre esprit ? Non ? Prenez un moment et faites-le. Qui sont vos lecteurs ? Des hommes ? Des femmes ? Les deux ? À quelle fourchette d’âge appartiennent-ils ? Leurs intérêts sont-ils variés ou étroits ? C’est bon, vous avez compris ? Désormais, ces lecteurs regarderont par-dessus votre épaule quand vous écrirez. Ce que vous créez doit leur plaire. En fait, vous signez avec eux un contrat strict. Il vous aideront à écrire l’histoire, et vous devrez les divertir.
Le concept du lecteur vous aidant à écrire l’histoire est important pour ceux d’entre nous qui ont tendance à l’assommer d’informations, et autres problèmes d’intrusion de l’auteur. Les lecteurs s’identifient souvent à un personnage de votre histoire, généralement le protagoniste. Donnez-leur la place de faire jouer leur imagination. Laissez le lecteur contribuer à certains détails subtils. À chaque fois que vous ajoutez deux ou trois détails, prenez en considération sa collaboration.
Avec le lecteur sur votre épaule gauche et votre muse sur la droite, il est temps de choisir où débuter la narration. Utilisez les critères qui suivent pour choisir où et quand vous devriez commencer l’histoire.
Le protagoniste est visible, il est le point de mire. Les paysages, c’est bien mais c’est ennuyeux. Ne vous énervez pas... Nous savons que vous pouvez écrire de magnifiques et éloquentes descriptions de votre joli monde. Facilitez-vous la tâche : montrez-le-nous plus tard. Pour le début, il est bon de faire simple... La simplicité est de rigueur. Vous devriez vous focaliser sur les détails physiques et psychologiques de votre personnage et nous faire entrer dans sa tête. Si vous mettez l’histoire en pause pour offrir une visite guidée à vos lecteurs, vous pourriez les perdre.
Le protagoniste est le point de mire. Il vous faut maintenant mettre en place des opportunités pour vos personnages de s’établir dans leur contexte social principal. Sont-ils des exclus ? Des initiés ? Des parias ? Sont-ils en désaccord ou en harmonie avec le monde ? Ceci est lié de près au conflit de la scène (voir la troisième règle ci-dessous). Cela se rapporte aussi au le sixième élément (les lois du monde). Le contexte est similaire à cette phrase : il montre comment les choses sont liées et entremêlées. Dit plus simplement, montrez si votre personnage est un piquet rond, carré ou hexagonal — et dans quel trou la vie essaie de le faire rentrer.
La scène devrait représenter le conflit global du roman, d’une façon ou d’une autre. Par exemple, s’il s’agit d’un ouvrage où le protagoniste doit retrouver un enfant kidnappé, une bonne façon de commencer l’histoire serait de montrer le personnage qui voit un enfant qu’on enlève à ses parents, ou deux parents qui se battent pour la garde d’un enfant. Il y a même l’approche brutale et flagrante : la scène où l’enfant se fait kidnapper. Votre première scène donne le ton pour le reste du livre.
Montrez le protagoniste dans une scène saisissante et dépouillée, de préférence en train de faire quelque chose qui lui soit représentatif. S’il ou elle est un virtuose de l’épée mais déteste les duels pour quelque raison, cette ’étiquette’ révèle quelque chose d’important.
Votre début doit contenir un conflit, qu’il s’agisse d’une partie de cartes belliqueuse ou d’une prise de bec familiale sur ce qu’il y a pour le dîner. Assurez-vous de mettre en jeu une chose à laquelle le protagoniste est attaché et qui lui est importante. Il n’est pas indispensable de faire couler du sang. Personne n’a besoin de mourir. Faire rouler des têtes n’est pas nécessaire. En réalité, à faire tant d’efforts pour écrire un début explosif, certaines personnes se perdent dans des scènes d’action élaborées qui échouent misérablement ! Pourquoi ? Parce que les personnages sont des inconnus. Nous ne nous intéressons pas encore à eux. L’action n’a aucune valeur pour le lecteur qui n’a pas investi de temps dans vos protagonistes.
Définir les motivations des personnages principaux pour gérer le conflit et établir un enjeu personnel est essentiel pour que votre histoire aille de l’avant. Ces détails fournissent des informations importantes sur le caractère de vos personnages. Si l’un d’entre eux est un amoureux de la nature, et que le thème est l’homme contre la nature, alors faites que le conflit traite de ce problème d’une façon ou d’une autre. Si le mauvais traitement des animaux est la grande bête noire du héros — insérez-la. Cela n’a pas besoin d’être quelque chose d’aussi flagrant que de montrer le personnage assister à une cruauté. Utilisez une méthode indirecte, par exemple dépeignez un incident où le personnage en entendrait parler, se lèverait en renversant sa chaise et exigerait qu’on lui dise où l’atrocité est en train d’avoir lieu, avant de quitter la pièce en vitesse pour affronter les scélérats.
En choisissant une scène conflictuelle, nous distinguons la passion de ce personnage et montrons comment il lutte avec elle. Nos démons dévoilent des contrastes révélateurs dans nos valeurs et dans notre caractère. Quand des émotions fortes nous saisissent, nous sublimons notre comportement social acquis et nos instincts basiques dictent nos actions. Dans ces moments, du potentiel peut être mis à jour, de la beauté cachée peut être dévoilée ou de la laideur être démasquée. Dévoiler ces aspects du protagoniste expose des défauts qui le rendent plus crédible, lui donnent de la profondeur et nous montrent aussi sa capacité à changer.
Ce n’est pas parce que votre roman reposera dans le rayon Fantasy que vous pouvez vous permettre de violer des lois sur un coup de tête. Oui, les lecteurs de Fantasy sont prêts à mettre de côté leur scepticisme, jusqu’à un certain point. Un écrivain sage, toutefois, commencera d’abord avec les éléments fantastiques les plus plausibles.
Pour que le lecteur croie en votre fantasy, vos meilleurs outils sont les symétries : quelque chose de sacrifié pour quelque de chose de gagné, action contre réaction, cause et effet. Si les éléments fantastiques jouent un rôle-clé dans le scénario, qu’il s’agisse de magie, de créatures fantasques ou simplement d’un aspect bizarre du monde, alors un indice ou une démonstration des lois directrices devrait jouer un rôle dans l’ouverture.
Si, d’une façon ou d’une autre, le protagoniste est davantage limité par ces règles, ou moins lié à elles (ou encore, en est une extension), vous devez soit montrer cette relation spéciale, soit en donner des signes. Prenez bonne note du mot ’montrer.’ N’expliquez pas. Nous pouvons découvrir plus tard ce que cela signifie. Ce n’est pas un problème si le lecteur se demande quel était le sens de tout cela, tant que vous avez fait allusion à la réponse.
Tout protagoniste qui se respecte possède une question. Celle-ci peut ne rien avoir à faire avec l’intrigue, mais elle reflète leurs besoins et motivations personnels. Des exemples de questions : "Pourquoi pas ?", "Serai-je jamais heureux ?", "Pourquoi suis-je seul ?", "Pourquoi a-t-il fallu qu’elle meure ?", "Pourquoi continuer à vivre ?", etc, etc. Le créateur de l’histoire devrait connaître cette question, et y répondre d’ici la fin de l’histoire. Assurez-vous que ce soit dans votre liste de choses à accomplir d’ici le dénouement.
Dans toute intrigue, il y a un fil conducteur pour le besoin et un pour le désir. Les personnages poursuivent leurs aspirations, mais ne seront pas en paix tant qu’ils n’auront pas accompli le besoin crucial de leur vie. Parfois ces deux fils coïncident — parfois ce n’est pas le cas. La question de votre début devrait présenter le fil du désir. Alors que les personnages luttent pour obtenir ce qu’ils veulent, ce fil devrait croiser ou être en désaccord avec celui de leur besoin.
Dans une histoire bien structurée, il doit y avoir un moment où le protagoniste se trouve au point de jonction entre ses besoins et ses désirs. Cette décision est souvent un moment décisif de l’histoire. L’exemple classique est celui du héros réticent qui, ayant voulu toute sa vie n’être "qu’un simple fermier," décide d’accepter son destin de sauveur du monde (acceptant ainsi son vrai besoin).
Votre scène d’ouverture établit l’ambiance générale de votre ouvrage, qu’elle soit sombre et mélancolique, humoristique, violente ou autre. C’est le moment où vous devez jouer franc jeu avec le lecteur. Si dans l’ensemble, votre histoire est sanglante et violente, alors la scène initiale devrait faire écho à ce sentiment. C’est essentiel. Imaginez ce que vous ressentiriez, si vous achetiez un CD audio dont la jaquette promouvait un certain style de musique, mais qui changerait inexplicablement de registre après quelques pistes. Non seulement cela vous irriterait, mais vous seriez aussi probablement vexé d’être tombé dans un piège. Briser des règles pour des raisons créatives peut être efficace, mais le sujet reste délicat.
Si vous vous y prenez bien dans la construction, il est possible de traiter chacun de ces points en une seule scène. Quand ils sont tous intégrés dans l’ouverture de l’histoire, vous pouvez avoir la certitude de détenir un début solide.
Si faire tenir tous ces détails dans la scène initiale vous paraît être un défi, vous devez réaliser qu’un premier paragraphe bien préparé peut traiter tous ces points en dix lignes voire moins. Pour cela, il faut simplement synthétiser minutieusement la sélection des détails, le choix des mots, les faux-fuyants, les comparaisons et les métaphores.
La véritable tâche, c’est de trouver un moyen de faire tenir conjointement ces huit idées distinctes. Utilisez des images, des caractéristiques physiques et des expressions chargées d’émotion qui mettent l’accent sur le personnage dans le contexte de son environnement, en attirant l’attention sur "ce qui est en jeu." Incorporez une des lois de votre monde dans les enjeux ou dans l’environnement. Si quelque chose qui compte pour le protagoniste est menacé, vous avez votre conflit. Il ne reste qu’à amener la question de l’histoire, et à dépeindre le personnage alors qu’il exhibe un de ses traits caractéristiques. Le ton et le rythme de votre histoire s’arrangeront tout seuls, simplement en suivant cette approche de l’écriture pour votre paragraphe d’ouverture.
Essayez ; les résultats devraient vous plaire. Évitez les détails et restez simple. Concentrez-vous sur le personnage et offrez au lecteur des protagonistes dans une situation évocatrice qui lui permettent de découvrir un nouveau monde.
Publié pour la première fois en 1983, Will Greenway a commencé sa carrière créative avec la volonté de dessiner et d’écrire des scénarios de comics. Après un certain nombre d’années, il s’est rendu compte que l’écriture correspondait mieux à ses compétences. En dehors de l’écriture et de l’art, Will est un programmeur autodidacte, technicien informatique, et expert en réseaux. Il aime faire du ski, du racket-ball, du disc golf, et est un indéfectible supporter des jeux de rôle. A ce jour, il a achevé dix-huit romans, plus de vingt nouvelles, et de nombreux articles sur l’écriture. Il réside à Sprint Valley, dans la banlieue sud de San Diego.
Le Ring Realms, l’univers partagé dans lequel ses romans ont lieu, est présent en ligne à http://www.ringrealms.com (en anglais).