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Développer les traits de caractère

Par Tina Morgan

jeudi 27 juillet 2006.

Traduction par Freyja


Quand vous créez un personnage, jusqu’où creusez-vous dans ce qui le pousse à faire ce qu’il fait ? À quel endroit devriez-vous vous arrêter ?

Tous les écrivains apportent leur propre mesure de la psychologie humaine à leurs personnages, mais sont-ils capables de l’exprimer sur le papier ?

Il y a trois points à considérer lorsque l’on crée un personnage qui semble vivant :

 Jusqu’où pouvez-vous aller ?
 Jusqu’où devriez-vous aller ?
 Décrivez-vous avec succès les motivations et la personnalité de vos personnages ?

Vous pouvez en partie répondre à la première question grâce à votre propre expérience et votre compréhension. Si vous avez des difficultés à comprendre les motivations des autres, alors vous aurez encore plus de mal à explorer des personnages qui ressentent les choses ou pensent d’une façon différente de la vôtre.

Imaginez : si vous êtes impliqué dans une relation monogame, auriez-vous une aventure pour une raison, quelle qu’elle soit ? Pourquoi ? Pourquoi pas ?

Si l’infidélité est pour vous un concept inimaginable, pouvez-vous vous identifier suffisamment à votre personnage volage pour le/la dépeindre avec justesse ? Inversement, s’il se trouve que l’infidélité est pour vous une seconde nature, pouvez-vous créer un personnage fidèle sans tomber dans le stéréotype coincé et borné ?

Ceci n’est qu’un scénario isolé. Les possibilités de conflit entre vos propres convictions et les mœurs de vos personnages sont infinies.

Pouvez-vous :

 Voler ?
 Tuer ?
 Mentir ?
 Trahir ?

L’avez-vous fait ? (Non, je ne vous demande pas de me rendre des comptes, tout comme les éditeurs ou moi-même n’excusons ni n’encourageons les actes criminels.)

Si vous avez déjà triché à un examen à l’école, pourriez-vous vous étendre sur les raisons qui vous ont poussé à le faire, et les utiliser pour comprendre pourquoi votre personnage peut ressentir le besoin de frauder dans ses rapports professionnels, ou de tromper son partenaire ? Les gens mentent pour diverses raisons. La peur de l’échec, la peur de décevoir un parent ou un mentor, la peur des ennuis qu’ils pourraient s’attirer en échouant - comme être poursuivi en justice si l’entreprise fait faillite.

Nous avons tous des besoins qui doivent être satisfaits, pour que nous soyions à même de vivre. Ils peuvent être aussi simples que de la nourriture, un abri, des vêtements. L’essentiel. Ou bien ils peuvent être aussi complexes que d’être conforté dans ses sentiments par ceux que l’on aime ou que l’on considère comme importants. Chaque personne voit ses besoins satisfaits d’une façon différente, et il devrait en être de même pour chaque personnage que vous créez.

La réponse à la deuxième question est déterminée par votre public cible et votre style d’écriture personnel. Si vous écrivez un thriller débordant d’action, les motivations de l’antagoniste ne seront pas aussi importantes que si vous exploriez les rouages internes de l’esprit d’Hannibal Lecter dans le Silence des Agneaux. Même à l’intérieur d’un même genre, ici les thrillers, il existe une large palette pour le développement d’un personnage.

Cependant, s’il existe dans la plupart des genres un large éventail de styles d’écriture, le roman ou la nouvelle littéraire mise considérablement sur l’exploration des pensées intimes et des motivations des personnages. Les conflits extérieurs sont bien moins importants que les conflits internes à l’esprit de votre personnage. Pour l’écrivain littéraire, il est crucial de comprendre comment et pourquoi votre personnage va réagir (ou ne pas réagir). Si tous les genres dépendent d’une histoire bien racontée et de personnages qui tiennent la route pour les lecteurs, des histoires d’un autre genre peuvent être menées par l’intrigue, se vendre toujours bien et être acclamées par la critique. Le roman littéraire est limité en ce sens où c’est la manière dont on décrit les personnages qui conduit l’histoire.

Alors, si vous avez des difficultés à comprendre les autres et leurs combats, cela veut-il dire que vous ne devriez pas écrire d’histoires littéraires ? Non, mais cela signifie que ce pourrait être plus difficile pour vous. Ce que vous espérez accomplir avec votre histoire devrait vous aider à décider si vous souhaitez relever ce défi ou non. Si vous aimez lire des histoires qui fouillent les pensées les plus intimes des personnages et que c’est le style avec lequel vous avez toujours rêvé de rivaliser, alors ne laissez pas un manque d’empathie vous en dissuader.

Comme beaucoup d’autres avant moi, je vais insister sur le fait que lire le genre dans lequel vous espérez écrire soit important. Si vous pensez que vous aimeriez écrire de la fantasy, lisez-en. Si vous souhaitez devenir le nouveau géant de la littérature, alors lisez autant d’histoires littéraires que vous en trouverez le temps. Pourquoi ? Parce que si vous voulez être publié alors vous devez savoir si l’histoire que vous écrivez est adaptée à votre marché cible. Sinon, est-ce qu’elle aura sa place dans un autre marché cible, et est-ce que cela a déja été fait auparavant ? Un jour, vous terminerez votre histoire, et si vous cherchez ensuite à être publié, alors il vous faudra savoir comment promouvoir votre travail. Si vous écrivez simplement pour le plaisir et que vous n’avez aucune intention de laisser quelqu’un d’autre lire vos écrits, alors écrivez ce que vous voulez et amusez-vous. Les genres sont un outil de marketing.

Décrivez-vous avec succès les motivations et la personnalité de vos personnages ?

Comment savoir si c’est le cas ou non ? Le seul moyen de le découvrir est de laisser quelqu’un d’autre lire vos histoires et donner son opinion à propos de ce qu’il a lu (il s’agit d’un article complètement différent). Une fois que vous aurez permis à quelqu’un de faire cela, et qu’il aura dit que vos personnages nécessitent du travail, vous allez devoir jeter un oeil attentif à la façon dont vous les dépeignez.

Les actes en disent plus long que les paroles. Vous pouvez bien dire autant de fois que vous voulez que votre personnage est nerveux, mais si vous le mettez dans le feu de l’action et qu’il résout ses problèmes sans transpirer une goutte, vous ne l’avez pas assez bien developpé. C’est là que la règle du "montrer et ne pas dire" devient cruciale pour la narration de votre histoire.

Comment faites-vous ressortir les traits de caractère de votre personnage sans le dire au lecteur : Mary est quelqu’un de nerveux ? Pensez aux personnes que vous connaissez. Comment expriment-ils la nervosité ? En se rongeant les ongles, en s’énervant sur la sangle de leur sac, en faisant cliqueter nerveusement la monnaie dans une de leurs poches, ou en se passant la main sur le visage ou dans les cheveux ? Certains mettront nerveusement un brin d’herbe en morceaux ou arracheront les feuilles d’un arbre ou d’un arbuste. D’autres encore taperont du pied ou se racleront la gorge.

Si vous ne parvenez pas à imaginer un moyen de représenter la personnalité unique en son genre de votre personnage, observez un peu les gens. Si vous cherchez un moyen de montrer que votre personnage se livre à une quête active d’un partenaire sexuel, allez dans une boîte de nuit locale ou si vous avez besoin d’un personnage plus réservé, cherchez du côté des soirées religieuses (soyez à l’affût des stéréotypes, certaines personnes sont criantes dans n’importe quel cadre). Que voyez-vous ? Des cheveux virevoltants, des lèvres léchées, des regards fixes, des gens plus proches que la société ne l’autorise ?

La nature agressive d’un personnage peut également être montrée avec un grand nombre de moyens subtils. N’oubliez pas le dialogue. L’agression peut être exprimée avec un langage abusif ou excessivement sophistiqué. La position du corps est importante aussi. Est-ce que votre personnage demande aux autres de s’asseoir tandis qu’il ou elle surveille une autre personne ? Est-ce qu’il ne se confronte aux autres que dans un bureau, où il peut s’asseoir à sa table, en position de force ? Repensez aux patrons que vous avez eus. Il y a souvent une large palette de jeux de pouvoir qui s’exerce dans le personnel, et c’est un excellent endroit pour commencer à étudier ce dictateur pour votre roman historique ou pour votre scène de bataille futuriste de science-fiction.

Les phobies sont aussi une part importante de la façon dont une personne se comporte. Tout le monde est effrayé par quelque chose. Certaines personnes le sont tellement que leur peur se transforme en phobie. Imaginez votre personnage arachnophobe réagissant normalement à la présence d’une énorme araignée dans la pièce où il se trouve. "Normalement", dans ces circonstances, impliquerait qu’il crie, qu’il s’élance hors de la pièce et qu’il soit incapable de tenir une conversation jusqu’à ce que la chose responsable de sa peur ne soit éloignée.

Les peurs profondes d’un personnage ont ce pouvoir de révéler un peu de son histoire ou de son côté émotionnel. De même, introduire ces peurs dans l’intrigue est un excellent outil pour créer une tension supplémentaire dans votre histoire.

N’oubliez pas votre famille, à la fois la famille proche et les parents plus éloignés. Quels types de personnalité voyez-vous et qu’est-ce qui, dans leur comportement, fait que vous ressentez ce que vous ressentez à leur égard ?

Même une personne introvertie peut observer et prendre des notes mentales sur la façon dont les autres personnes agissent. Quand j’étais une adolescente socialement malhabile, j’allais regarder les autres adolescents au centre commercial local. Même si je ne parlais à aucun d’entre eux, j’observais la façon dont ils parlaient, marchaient et agissaient. J’ai beaucoup appris sur le flirt, bien que je ne sois pas une grande adepte des jeux de société.

Si vous avez des difficultés à être solidaire des autres personnes, alors vous devriez trouver que jouer à des jeux de rôle rend plus facile l’élaboration de vos personnages. Mettez-vous dans leur situation. Soyez prévenu cependant, que cela peut limiter vos personnages à des versions étoffées de vous-même. Vous ne voulez pas que tous vos personnages réagissent comme vous le feriez. Vous les voulez aussi variés que les gens que vous rencontrez et à qui vous parlez chaque jour.

Jusqu’où pouvez vous aller ?

Élargissez votre capacité de réflexion avec cet exercice. Examinez vos personnages, notez la façon avec laquelle ils bougent, avec laquelle ils réagissent. Existe-t-il des ressemblances entre vos personnages ? Qu’allez-vous faire pour dissiper ces ressemblances ? Utilisez-vous votre talent pour représenter leur exceptionnelle personnalité ?

Jusqu’où devriez-vous aller ?

Examinez l’histoire que vous voulez raconter et à quel point il est important de détailler jusqu’au plus petit trait de caractère de votre personnage. Souvenez-vous, chacun réagit différemment au stress, donc tous vos personnages n’auront pas les mêmes réactions. Vérifiez le nombre de fois où vous utilisez les mots “rictus”, “froncer les sourcils” ou “sourire”. Vous serez surpris de la fréquence à laquelle ils apparaissent. Supprimez-les et donnez à votre personnage un unique attribut. N’oubliez pas de jeter un oeil aux petites choses qu’ils font et qui peuvent développer le suspense et la tension de votre histoire.

Décrivez-vous avec succès les motivations et la personnalité de vos personnages ?

L’histoire et l’éducation d’une personne jouent un rôle important dans la constitution de la personne qu’elle deviendra. Cependant, dans l’écriture de création, il n’est pas vital de donner tout l’historique de chaque personnage que vous insérez. Vous pouvez plutôt donner au lecteur des indices de son passé par petites touches tout au long de l’histoire. Saupoudrez de détails, ainsi le lecteur prend progressivement conscience des raisons qui font que le personnage agit comme il le fait.

Vous pourriez avoir à chercher la contribution d’un regard extérieur, pour savoir si vous réussissez à montrer plutôt que dire. Mais avant de le faire, vous pouvez éditer votre travail en pensant à la façon dont vos personnages agissent, parlent et pensent.

Tina Morgan est la Directrice de Rédaction de Fiction Factor - un magazine en ligne consacré à l’écriture de création. Elle a aussi contribué au livre "The Complete Guide to Fantasy" (en anglais), disponible chez Dragon Moon Press.

Cet article a d’abord été publié en anglais sur FictionFactor - http://www.fictionfactor.com/.

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