Par Moira Allen
samedi 29 juillet 2006.
Traduction par Phylia
L’un des plus grands défis auquel nous devons faire face en tant qu’écrivains est le manque de structure dans notre travail. Il n’y a personne pour nous dire que faire, quand le faire, comment le faire — ou encore si nous le faisons bien (alors que les acceptations sont très certainement un signe de succès, les refus ne sont pas nécessairement un signe d’échec).
Une manière de surmonter ce défi est d’apprendre à se fixer des buts. Les buts, soit dit en passant, ne sont pas identiques aux rêves. Alors que vous pouvez aspirer à devenir un grand romancier régulièrement invité chez Oprah [1], ce n’est pas un but. C’est un rêve — et la seule manière de réaliser ce rêve est d’établir des buts mesurables qui vous feront prendre la direction de ce rêve, pas à pas.
Pour être efficaces, les buts doivent suivre trois critères : ils doivent être mesurables, significatifs et réalisables.
Mesurables. Beaucoup d’écrivains commencent avec des buts "qualitatifs" : nous voulons être un "bon" écrivain, ou un "meilleur" écrivain, ou un écrivain "à succès", ou un écrivain qui rédige des textes qui en "valent la peine". Mais comment définir bon, ou à succès, ou valable ? Ces termes sont si difficiles à mesurer que certains buts semblent continuellement vous glisser entre les doigts (ou être au-delà de votre portée).
Les buts sont inutiles si vous ne pouvez pas déterminer s’ils sont appropriés (après tout, il est toujours possible de devenir un "meilleur" écrivain). Ainsi, les buts quantifiables — des buts qui peuvent être mesurés par une forme quelconque de rendement ou de résultats — sont souvent plus efficaces. Par exemple, vous pouvez vous fixer pour but d’écrire un certain nombre de pages par jour, ou d’envoyer un certain nombre de propositions d’articles par semaine. Si vous rêvez de devenir "riche" (au moins assez pour "subvenir à vos besoins"), donnez-vous un but spécifique concernant vos revenus — et le moment auquel vous espérez l’atteindre.
Réalisables. Le gouffre entre l’endroit où nous sommes et celui où nous aimerions être semble souvent trop grand pour pouvoir être enjambé. Les buts peuvent aider à diviser la tâche en petites étapes à votre portée. Si vous rêvez de devenir un romancier classé dans les meilleures ventes, mais que vous n’avez jamais posé votre stylo sur le papier, envisagez de vous fixer un but immédiatement à votre portée tel que suivre un programme d’écriture, ou prendre des cours en ligne, ou simplement étudier un livre sur l’écriture de romans. Un second but pourrait être d’écrire votre première histoire, de rédiger le plan de votre roman, ou de véritablement écrire le premier chapitre. Un troisième pourrait être de chercher à obtenir des retours, peut-être en rejoignant un groupe de critique ou en envoyant votre histoire à un éditeur. Chaque but marque un pas en direction de votre rêve à long terme, et chacun est réalisable dans ses propres bornes.
Pour établir des buts réalisables, vous devez être honnête avec vous-même au sujet de ce que vous êtes capable d’accomplir à ce stade de votre carrière d’écrivain. Si vous n’avez jamais gagné un cent de vos écrits, par exemple, il serait irréaliste de se fixer le but de "subvenir à vos besoins" en une année. De la même manière, si vous n’avez jamais rien écrit de plus long que les cartes postales annuelles, il serait probablement irréaliste d’espérer terminer un roman de 600 pages en six mois.
A votre portée signifie aussi reconnaître ce qui est matériellement possible dans le monde de l’écriture. J’ai déjà parlé avec quelqu’un qui était frustré d’avoir "échoué" à devenir autosuffisant par l’écriture de nouvelles de science-fiction — en dépit du fait que le marché pour de tels travaux tourne autour de 5 cents par mot. À ce rythme, même pour simplement gagner 25 000$ par an (hors taxes), il faudrait écrire et vendre 500 000 mots par an (c’est-à-dire, une centaine d’histoires à 5000 mots, ou une moyenne de deux par semaine).
Significatifs. En écriture, il est facile de se laisser distraire par des buts qui paraissent avantageux, mais qui ne vous guident pas dans la direction que vous voulez prendre. Cela peut souvent être le résultat de buts contradictoires. Par exemple, vous pouvez rêver de devenir romancier, mais devoir faire face au besoin très réel de mettre de la nourriture sur la table. Par conséquent, il est facile de différer ce roman (pour lequel vous ne gagnerez pas un centime avant qu’il ne soit fini) pour un projet plus lucratif dans l’immédiat. Dans une situation comme celle-ci, souvenez-vous que les buts contradictoires n’ont pas à être exclusifs : vous pouvez résoudre ce problème en consacrant 25% de votre temps d’écriture à votre roman, et les autres 75% à des articles plus rentables.
Une autre source de dispersion consiste à poursuivre les buts ou recommandations de quelqu’un d’autre pour "le succès". Les magazines d’écriture sont remplis de secrets et de formules, mais omettent souvent de mentionner que ces stratégies ne fonctionnent pas pour tout le monde. Par exemple, si vous vous fixez le but de "se lever tôt tous les matins pour écrire avant d’aller travailler", cela peut bien fonctionner — à moins que vous ne soyez un couche-tard naturel, dans ce cas soit vous détesterez ces heures d’écriture, ou vous vous détesterez vous-même pour être incapable d’acomplir le but que vous vous êtes fixé. De même, si vous avez entendu dire qu’un bon écrivain tient toujours un journal, mais que le vôtre vous ennuie à mourir, vous aboutirez à la conclusion erronée que vous n’êtes pas un "vrai" écrivain — ou vous allez simplement perdre votre temps dans une activité qui ne signifie rien pour vous. En même temps, faites attention à ne pas laisser passer des opportunités simplement parce qu’elles ne semblent pas immédiatement épanouissantes. Prendre des cours d’écriture, par exemple, ne semble pas excitant mais peut vous aider sur les buts à long terme.
Une stratégie d’écriture sage comprend un mélange de buts à court terme ("Aujourd’hui, je repère cinq marchés professionnels") et buts à long terme ("Un jour, j’écrirai ce roman").
Un bon moyen de fixer vos buts à long terme est de vous demander où vous voudriez être dans six mois, un an, cinq ans, ou dix ans. En vous posant ces questions, vous définissez votre vision et planifiez votre parcours — et vous serez aussi plus à même de déterminer si un projet d’écriture particulier contribue à votre but à long terme ou vous en éloigne.
Les buts à long terme se bâtissent souvent les uns sur les autres. Par exemple, votre but pour votre première année d’écriture en freelance peut être d’obtenir autant de commandes d’articles que possible. Une fois que vous avez acquis des crédits de publication variés, toutefois, vous pouvez peut-être consacrer votre seconde année à utiliser ces articles publiés pour vous aider à cibler des marchés plus prestigieux et mieux payés. Vous pourrez progresser de "généraliste" à "spécialiste" — vous établissant vous-même comme un expert dans un certain domaine. A l’inverse, vous déciderez peut-être d’élargir vos horizons d’écriture et les marchés potentiels en passant de sujets très ciblés à des thèmes plus diversifiés.
Alors que les buts à long terme vous aident à déterminer où vous allez, les buts à court terme vous aident à décider du moyen à utiliser afin d’y parvenir. Si votre but pour l’année est de "vendre au moins dix articles à des magazines", vos buts à court terme incluraient d’effectuer une étude de marché, d’envoyer des propositions d’articles, ou de soumettre un certain nombre d’articles par mois.
Les buts à court terme sont souvent mesurés par un "rendement". Les buts de rendement sont ceux pour lesquels vous avez un contrôle complet sur les résultats : par exemple, vous enverrez dix propositions d’article par semaine, ou écrirez trois articles ou nouvelles par mois. Des exemples de buts de rendement seraient :
Le nombre d’heures d’écriture quotidiennes (ou hebdomadaires)
Le nombre de pages produites par jour (ou par semaine)
Le nombre de projets d’articles soumis par semaine ou par mois
Le nombre de projets (articles, nouvelles, ou chapitres) écrits par mois ou par année
Notez que ces buts de rendement ont des durées courtes dans le temps. Un but à court terme ne doit pas devenir un but à long terme simplement en élargissant le quota ("soumettre 520 propositions d’articles en un an"). A la place, les buts à long terme sont mieux mesurés non pas par le rendement mais par les résultats. Alors que vous faites face à votre quota hebdomadaire de dix propositions d’article, vous ne pouvez pas contrôler la décision éditoriale et les facteurs du marché qui déterminent si ce projet sera accepté (peu d’écrivains obtiennent un taux de succès de 100% dans n’importe quel domaine de rendement).
Pour déterminer si vous "avancez conformément à votre programme", êtes en avance sur le programme, ou à la traîne en terme d’accomplissement de vos buts "à résultats", il est par conséquent important de faire un bilan régulier de vos progrès. Avez-vous atteint vos buts de rendement, les avez-vous dépassés, ou les avez-vous fixés exagérément haut ? Si vous avez réalisé ces buts, êtes-vous plus proche de votre but de "résultat" à long terme — ou est-ce qu’il semble toujours aussi éloigné ?
De tels bilans peuvent vous aider à déterminer si vous avez besoin de changer vos buts à long terme, ou les stratégies à court terme que vous utilisez pour les accomplir. Si, par exemple, votre but d’une année était de "se faire publier quelque chose, n’importe quoi, mais se faire publier", et que vous avez accompli ce but durant le premier mois, c’est le moment de vous fixer un nouveau but à long terme. Si, d’un autre côté, vous avez envoyé dix propositions d’article par semaine durant les six derniers mois et que vous n’avez pas reçu une seule réponse positive, il pourrait être temps de réévaluer vos buts à court terme : peut-être que vous avez besoin de cibler des marchés différents, de réexaminer les idées que vous défendez, ou d’apprendre comment écrire une proposition plus efficace. En d’autres termes, si vos six premiers mois de "rendement" ne vous ont pas rapproché de façon significative de votre but à long terme, ne perdez pas six mois de plus à faire exactement la même chose !
Et c’est peut-être ce qu’il y a de plus charmant au sujet des buts : vous pouvez les changer. Ils ne sont pas immuables. Ce ne sont pas des liens, voués à vous enchaîner dans une espèce d’esclavage de l’écrivain. Assez souvent, ils changent d’eux-mêmes avant que vous ne réalisiez ce qui s’est produit : un but qui avait une signification il y a un an peut ne plus vous paraître si important maintenant, tandis qu’un autre but auquel vous n’osiez pas aspirer avant peut soudainement sembler accessible. Vos intérêts peuvent changer, vos rêves peuvent changer, vos compétences changeront sans aucun doute — et puisque celles-ci changent, vos buts peuvent (et doivent) changer aussi. La clé est de se souvenir que les buts ne sont pas votre destin. Ils sont simplement des outils très efficaces que vous pouvez utiliser pour accomplir ce destin.
Moira Allen, éditrice de Writing-World.com, a publié plus de 350 articles et chroniques, ainsi que sept livres, y compris How to Write for Magazines, Starting Your Career as a Freelance Writer, The Writer’s Guide to Queries, Pitches and Proposals, et Writing.com : Creative Internet Strategies to Advance Your Writing Career (tous en anglais). Elle collabore en tant qu’éditrice pour le magazine The Writer et a écrit pour le Writer’s Digest, Byline, et diverses autres publications sur le thème de l’écriture. En plus de Writing-World.com, Elle héberge le site de voyage TimeTravel-Britain.com, The Pet Loss Support Page, et le site de photographie AllenImages.net. Elle peut être contactée via sa page de contact (messages en anglais).
Cet article a d’abord été publié en anglais sur Writing-World.com - http://www.writing-world.com/.
[1] NdT : Célébrité aux Etats-Unis, ses recommandations de livres propulsent directement le livre en question au rang de best-seller. Si vous avez besoin d’un équivalent français, imaginez Ardisson ou Pasquier, et multipliez l’effet par 100.