Jusqu'au dernier mot

Accueil du site > Vivre l’écriture > Éthique de la tragédie : les victimes de l’intrigue sont (...)

Éthique de la tragédie : les victimes de l’intrigue sont humaines aussi !

Par Paula Fleming

samedi 31 mai 2008.

Traduction par Leippya


Les histoires sont souvent plus efficaces quand les enjeux sont au plus haut. Il est donc naturel d’infliger à nos personnages des épreuves aussi dures que possible. Mort, défiguration, abus, perte de ses proches, viol, exil... C’est ce qui met l’âme des personnages à l’épreuve et contribue à créer une narration acharnée.

Cependant, je pense qu’il est mal d’utiliser des événements horribles simplement pour faire avancer l’histoire. Je crois aussi que faire de la tragédie gratuite crée des histoires qui tombent à plat sur le plan émotionnel.

Dans le roman L’Arbre aux haricots de Barbara Kingsolver, acclamé par la critique en 1988, un petit enfant est violé. Le roman se focalise sur la prise de maturité d’une femme adulte quand elle devient accidentellement la mère adoptive du petit. Le bambin, retardé émotionnellement et intellectuellement, est un simple accessoire, un catalyseur du développement de la protagoniste. Plus tard dans le livre, l’enfant est menacé par un pédophile dans le parc. Une nouvelle fois, les conséquences pour l’enfant ne sont pas traitées, puisque l’histoire se focalise sur les émotions de la mère adoptive. Ce n’est pas acceptable. Les enfants victimes de viol, même fictifs, méritent d’être plus que de simples accessoires dans la vie de leurs tuteurs adultes. Aussi, à part la vague inquiétude qu’a toute personne honnête pour l’état de santé d’un enfant abusé, on ne sent jamais une peur impérieuse, vive et pressante pour le bien-être de cet enfant.

Note : Avant que les fans de Barbara Kingsolver ne m’envoient des lettres injurieuses, laissez-moi vous assurer que j’aime et apprécie ses ouvrages en général. Je suis juste convaincue que ce roman illustre un défaut éthique que je retrouve trop souvent dans les histoires de science-fiction/fantasy.

À l’opposé, prenez en considération Le Silence des Agneaux de Thomas Harris. Un tueur en série s’attaque à des femmes, et le nombre de morts augmente. Toutefois, les victimes ne sont pas que de simples étapes dans l’intrigue. Elles ne sont pas que des cadavres fournissant des indices à l’inspecteur. Les victimes sont humaines. L’agent du FBI Clarice Starling n’éclaircit pas le mystère seulement en parlant avec un autre tueur en série (Hannibal Lecter), elle se met aussi dans la peau de la première victime. Elle visite la maison de la femme, imagine ce qu’était de porter ses vêtements, marcher dans son corps, et découvrir en un "ami" un monstre. À l’autre bout de la piste, nous rencontrons sa victime actuelle, qu’il affame dans son sous-sol pour que sa peau devienne flasque et plus facile à peler, et elle aussi est une personne très réelle avec une famille, des aspirations, des failles et un courage authentique. Nous voulons vraiment que cette femme survive, ce qui nous pousse à nous investir plus encore dans la mission de Clarice Starling.

Dans un des livres, la victime existe pour que l’auteur puisse écrire une histoire excitante. Dans l’autre, des personnes existent et se retrouvent victimes d’horribles faits au moment de l’histoire. Une de ces approches sombre dans le voyeurisme, l’autre est basée sur l’empathie. L’une transforme les malheureux en objets, l’autre les considère comme des participants.

Les histoires de science-fiction et fantasy traitent souvent de traumatismes considérables. Ce qui suit ne sont que quelques exemples :

- Un cousin rebelle poignarde à mort le roi et la reine sous les yeux de la jeune princesse, avant de l’enlever et de l’épouser de force pour cimenter ses prétentions au trône.

- Pendant la Guerre des Insectes, un soldat entend dans sa radio ses camarades de bord jetés dans l’espace mourir lentement, le suppliant de les aider alors que cela lui est impossible. Il rentre chez lui avec une grave névrose post-traumatique, hanté par leurs voix désincarnées.

- Le fils adolescent d’une sorcière est, sans qu’elle le sache, rituellement séduit et violé par son assemblée à chaque pleine lune.

Les exemples ci-dessus sont tous de puissants traumatismes qui pourraient alimenter de puissantes histoires. Mais allons-nous utiliser l’horreur du meurtre, de la guerre, du viol simplement pour créer des sensations fortes ? Ou allons-nous les utiliser pour explorer des actes de persécutions et la lutte pour survivre, avec sensibilité et en vue d’éclairer les extrêmes de la condition humaine ?

D’après moi, si les victimes sont nos protagonistes, la plupart d’entre nous en sait assez sur l’écriture, et a suffisamment de sensibilité, pour les rendre complètement humains, avec une âme — aussi troublée soit-elle — qui existe avant, après et en dehors du traumatisme. Cependant, quand une victime n’est pas le personnage principal, la traitons-nous avec le même respect ? Et si, dans les exemples ci-dessus, notre histoire concernait le garde du château amoureux de la princesse, la femme dont le mari rentre de la guerre ou la mère qui découvre pourquoi son fils est aussi perturbé ? Dans ces histoires, nos victimes deviennent-elles de simples accessoires, étapes dans l’intrigue ou éléments de l’histoire ? Ou leur accordons-nous le respect dû à tout être humain, quelles que soient leur infortune ou condition, et leur donnons-nous sur la page des vies qui leur sont propres ?

Donner à chaque personnage un but qui lui est spécifique, sans considérer leur but dans l’ouvrage, enrichit une histoire. C’est aussi notre devoir.

Les textes de science-fiction et de fantasy de Paula L. Fleming sont apparus dans nombre de publications, y compris gothic.net, Tales of the Unanticipated #20, #22 et #24, l’anthologie Such a Pretty Face de Meisha Merlin, et Extremes 3 : Terror on the High Seas de Loves Wolf Publishing. Diplômée de l’atelier Clarion (Clarion Workshop), Paula s’occupe d’une liste des marchés de fiction spéculative (mise àjour tous les trois mois). De jour, elle s’occupe des ressources humaines àla Wedge Community Co-op. Pour l’aider, elle a trois gros chiens, deux chats et un mari.

Cet article a d’abord été publié en anglais sur Writing-World.com - http://www.writing-world.com/.

Répondre à cet article