Par Jim C. Hines
lundi 15 janvier 2007.
Traduction par Leippya
Il y a environ un an, une amie m’a demandé de critiquer une de ses histoires. Elle faisait ses armes dans l’écriture et elle voulait un avis, ainsi que des conseils sur la façon de s’y prendre pour envoyer l’histoire.
Celle-ci était plutôt bonne. Je lui ai offert quelques commentaires, expliqué les bases de la présentation de manuscrit, et l’ai dirigée vers quelques autres ressources sur l’écriture. Je l’ai aussi prévenue que l’écriture est un domaine frustrant, et que cela peut prendre des années à un nouvel écrivain pour percer.
La plupart d’entre vous ont probablement deviné où je veux en venir. Quelques mois plus tard, mon amie m’envoyait un email pour me dire qu’elle avait vendu son histoire à Realms of Fantasy dès sa première tentative.
J’ai réagi comme l’auraient fait la plupart des écrivains qui galèrent : j’ai serré les dents, éteint mon ordinateur, et entrepris de me cogner la tête contre mon bureau jusqu’à ce que mon cerveau soit engourdi.
Je voulais être content pour elle. Je ne cessais de me dire que quelqu’un de meilleur - quelqu’un de bien - aurait été content. Quelqu’un de bien n’aurait pas eu cette sensation brûlante dans les tripes parce qu’un écrivain inexpérimenté a vendu dans un marché qu’il n’a jamais été capable de percer. Quelqu’un de bien aurait souri et félicité son amie, n’est-ce pas ?
Je l’ai félicitée... au final. Il m’a fallu un jour ou deux pour dominer cette première vague de jalousie, mais une fois passée, je me suis rendu compte que j’étais réellement heureux de sa réussite. À l’heure actuelle quand je pense à sa vente, je serre à peine les dents.
La plupart des écrivains que je connais éprouvent de la jalousie à un moment ou à un autre. Parfois c’est la frustration de lire le travail de quelqu’un d’autre et de vous rendre compte que vos écrits n’ont pas encore atteint ce niveau. D’autres fois, c’est regarder les gens vendre histoire après histoire à un éditeur qui ne vous a jamais rien envoyé d’autre que des lettres de refus standard.
La jalousie n’est qu’une émotion. Nous en avons tous. L’astuce, c’est de reconnaître la jalousie pour ce qu’elle est, de comprendre d’où elle vient, et de trouver un moyen d’y faire face qui fonctionne pour vous.
[Elle] arriva comme un coup de couteau froid dans les tripes, une sensation de futilité, une sensation de pourquoi est-ce que je m’emmerde à faire ça... une part de vous pleure, dans cette humeur de bile noire faite de désespoir.
— Vera Nazarian, auteur de “Dreams of the Compass Rose”
Aucun de nous ne réagit exactement de la même façon à quoi que ce soit. Des événements qui provoquent une jalousie ardente chez un écrivain peuvent ne faire ni chaud ni froid à celui d’à côté. En son cœur, la jalousie provient d’un sentiment d’insatisfaction. Ce qui la déclenche, ce sont les choses qui nous rappellent cette insatisfaction. L’origine et l’objet de la jalousie varieront selon les écrivains et les situations.
L’écrivain Jennifer Brozek décrit ses sentiments pendant la lecture du texte d’un ami. « Les mots étaient évocateurs, beaux et expressifs sans trop en faire. La seule chose que je pouvais faire, c’était rester assise là et penser “Je suis nulle ! Je ne peux pas égaler une chose pareille.” »
Le succès seul ne crée pas la jalousie. Elle arrive quand d’autres réussissent dans des domaines auxquels nous attachons de l’importance. En tant qu’écrivains, nous sommes tout à fait conscients du savoir-faire nécessaire à la création d’une jolie prose. Nous reconnaissons aussi nos propres forces et faiblesses, et nous savons quel type de textes nous voulons écrire. Il est pénible de lire le travail d’un autre auteur et d’y reconnaître des aptitudes que l’on désire et qui nous font défaut. Quand un autre auteur écrit une bonne histoire, les personnes qui en sont le plus jalouses sont celles qui veulent écrire ce genre d’histoires.
Une autre sorte de jalousie survient quand des écrivains que nous percevons comme moins talentueux surpassent nos propres succès. Nous avons tous imaginé comme ce serait bien d’être celui dont l’histoire figurerait en couverture du prochain FSF [1] ou qui décrocherait un gros contrat avec les éditions Tor. Ces réussites deviennent beaucoup plus difficiles à avaler quand elles ne paraissent pas méritées.
« Je nourris une jalousie secrète quand une histoire que j’ai lue et jugée imparfaite, se vend en fait, » révèle l’auteur Catherine Shaffer.
C’est une chose de voir un autre écrivain réussir quand vous comprenez pourquoi cet écrivain a vendu l’histoire. C’est beaucoup plus frustrant de penser que votre propre texte était meilleur - d’avoir le sentiment que vous auriez dû être la personne à conclure cette vente. Mike Jasper le résume bien : “Ça me fait vraiment bouillir.”
Finalement, la jalousie dépend de la force avec laquelle vous désirez un succès particulier. Si vous avez déjà vendu trois histoires à un marché, il est peu probable que cela pique autant quand quelqu’un d’autre leur vend une histoire. D’un autre côté, si la vente en question se conclut avec un marché dans lequel vous tentez de percer depuis des années, la jalousie peut être pratiquement insupportable.
« Je parle généralement des pointes de jalousie que je ressens à ma femme, qui écrit de la littérature non-romanesque, et le simple fait d’en parler me fait réaliser à quel point la jalousie est stupide. »
— Mike Jasper
La plupart d’entre nous ont été élevés dans la croyance que certaines émotions sont Mauvaises. La colère, la peur, la jalousie... Ces sentiments sont soi-disant faibles ou nocifs, et devraient être fichés à l’écart dans un caveau émotionnel duquel on n’entendrait plus jamais parler. La vérité, c’est qu’avoir des sentiments fait partie de la nature humaine et qu’en dépit des croyances populaires, les écrivains sont humains aussi. Nous nous mettons tous en colère, nous avons tous des peurs, et nous devenons tous envieux.
L’une des étapes les plus importantes pour faire face à la jalousie est de la reconnaître et d’accepter sa présence. Tenter d’ignorer les émotions ou prétendre qu’elles n’existent pas fonctionne rarement, pas plus qu’avec les blessures physiques. Les deux ont tendance à suppurer quand elles sont ignorées, et il est facile pour les écrivains qui galèrent de devenir amers et dégoûtés.
Trouvez quelqu’un à qui parler. Épanchez-vous sur un confrère écrivain, s’il se trouve que vous en avez un de disponible. Trouver un exutoire à cette première vague de jalousie est d’un grand secours. En discuter avec un autre écrivain est aussi utile parce que nous avons tous fait l’expérience de la jalousie. D’autres écrivains peuvent normaliser ce que vous traversez. “Je pense que ça aide, parce que vous découvrez inévitablement que vous n’êtes pas seul,” dit Catherine Shaffer.
Parfois, vous avez aussi le choix de parler à celui qui a provoqué la jalousie à l’origine. Quand mon amie a vendu son histoire, je ne voulais pas lui parler avant d’avoir surmonté ma réaction "inacceptable". Ce fut mon camarade de chambre (un étudiant et conseiller en psychologie) qui m’a fait remarquer que mon amie ne serait probablement pas offensée par ma jalousie. En fait, elle la prendrait probablement comme un compliment.
Alors essayez de ne pas refouler les choses à l’intérieur. Il n’y a rien de mal à se décharger sur un ami ou confrère écrivain, quelle que soit la raison pour laquelle vous avez besoin d’un exutoire. Parler permet aussi de canaliser plus facilement la jalousie pour en faire quelque chose de productif.
« C’est mieux si je prends un jour ou deux pour lécher mes plaies, après quoi j’essaie de me débarrasser de ces sentiments et de penser positif. Après tout, chaque succès par l’un de mes pairs est un signe de plus que la même chose pourrait m’arriver. »
— Catherine Shaffer
Dans la plupart des cas, être jaloux du succès d’un autre écrivain n’a en réalité pas grand chose à voir avec l’écrivain en question. La jalousie est moins due au fait que quelqu’un vient juste de décrocher un à-valoir à six chiffres pour leur nouvelle trilogie de fantasy, qu’au fait que nous n’ayons pas été capable de faire la même chose.
Nous ne pouvons pas contrôler ce que font les autres écrivains. Les auteurs renommés continueront d’obtenir des contrats sensationnels. Les écrivains qui débutent continueront de vendre leurs premières histoires à des magazines de haute qualité. Les éditeurs continueront de publier une histoire minable de temps en temps. Tous ces facteurs sont hors de notre portée, et se concentrer sur eux n’engendre que de la frustration.
Ce que nous pouvons contrôler, c’est l’effort et l’énergie que nous mettons dans notre propre travail. La jalousie vient d’une insatisfaction sur le fait que nous n’avons pas encore la technique et le succès que nous voudrions. D’une certaine façon, la jalousie peut nous aider à nous motiver, et les succès des autres peuvent faire office de buts auxquels aspirer.
« J’ai un esprit de compétition très développé, » admet Vera Nazarian, « alors voir toutes ces ventes se conclure me donne envie de courir et d’écrire des volumes d’histoires et de livres, et “leur montrer.” » Mike Jasper évoque une réaction similaire. « Voir mes confrères écrivains être publiés à des endroits où je ne l’ai pas encore été me donne envie de travailler encore plus dur. C’est comme vouloir devenir membre d’un club exclusif, et je vais continuer de frapper à leur porte jusqu’à ce qu’ils me laissent entrer. »
C’est plus facile à dire qu’à faire. Ce n’est pas toujours simple de saisir ce nœud à l’estomac initial et de le transformer en quelque chose de productif. Mais les émotions sont des choses puissantes, comme le savent la plupart des écrivains. La jalousie peut potentiellement nuire, tel l’écrivain qui envoie des lettres amères et furieuses à chaque éditeur l’ayant refusé, les admonestant pour avoir fermé les yeux sur son travail “manifestement supérieur” en faveur d’un “plumitif sans talent.” D’un autre côté, la jalousie peut aussi se traduire par des actions plus utiles.
La jalousie peut engendrer beaucoup d’énergie refoulée. C’est à vous d’examiner votre écriture avec honnêteté et de déterminer où cette énergie serait le mieux utilisée. Peut-être avez-vous besoin de travailler plus dur à ré-envoyer vos histoires. Peut-être qu’il s’agit de passer plus de temps sur les révisions. Peut-être que vous avez simplement besoin de passer plus de temps à écrire de nouveaux textes. Écrire n’est pas facile, et si vous pouvez trouver un moyen d’utiliser la jalousie pour vous motiver, alors je vous en prie, utilisez-la !
Les écrivains sont humains, et les êtres humains réagissent de façons différentes. La plupart des gens à qui j’ai parlé pendant mon travail sur cet article ont décrit la jalousie comme étant désagréable, mais motivante. D’autres n’ont rien vu d’utile en elle, la considérant comme une émotion laide et nocive.
Comme tout bon psychologue le fera remarquer, il n’existe pas de façon unique et correcte de faire face aux émotions désagréables. Pour Vera Nazarian, « pratiquement tous les numéros de Locus [2] sont une expérience masochiste que je me force à subir. » Néanmoins, cette expérience renouvelle sa détermination d’écrire plus. Si vous pouvez trouver un moyen de faire travailler la jalousie en votre faveur, alors, faites-le.
Si, d’un autre côté, la jalousie a tendance à vous laisser frustré et bloqué, incapable de dépasser la dépression initiale, peut-être qu’une meilleure solution serait d’éviter ces choses qui provoquent la jalousie en premier lieu. Ne ramassez même pas cet exemplaire de Locus si vous savez que cela ne servira qu’à démolir votre moral. Il est impossible d’échapper complètement aux récits des réussites des autres, mais nous pouvons au moins tenter de limiter l’exposition à un niveau raisonnable.
En définitive, la jalousie n’est rien d’autre qu’une émotion, et les émotions ne sont ni bonnes ni mauvaises. C’est ce qu’on en fait qui compte. Alors ne culpabilisez pas à cause d’un sentiment. Apprenez à l’affronter, et trouvez une façon de l’utiliser si vous le pouvez.
Après tout, plus vite vous reviendrez sur vos écrits, plus vite un autre écrivain se cognera la tête sur son bureau et donnera libre cours à la jalousie que vous lui inspirez.
Jim C. Hines écrit depuis 1995. Il a publié plus de 30 nouvelles dans des marchés tels que Realms of Fantasy, Turn the Other Chick et Sword & Sorceress. Son premier roman fantasy, Goblin Quest, a été publié par DAW Book en novembre 2006 et a déjà été traduit en plusieurs langues (mais pas encore en français, hélas). La parution d’une suite, Goblin Hero, est prévue pour 2007. Il a aussi coédité l’anthologie Heroes in Training avec Martin Greenberg. Jim vit aux Etats-Unis avec sa femme et ses deux enfants, qui sont tous étonnamment tolérants à l’égard de ses étranges habitudes d’écriture. Son site internet est disponible à cette adresse : http://www.jimchines.com.
Cet article a d’abord été publié en anglais sur Writing-World.com - http://www.writing-world.com/.
[1] NdT : Fantasy and Science Fiction magazine, magazine très prestigieux publiant des nouvelles.
[2] NdT : Locus est le magazine de référence sur la Science-Fiction et la Fantasy, et publie notamment dans chaque numéro la liste des derniers livres et droits vendus, réédités, etc dans le domaine.