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Observez avant d’écrire : appliquer les leçons des arts visuels

Par Paula Fleming

samedi 15 mars 2008.

Traduction par Freyja


Nous avons tous éprouvé le plaisir de lire une histoire et de visualiser le paysage, les personnages et l’action avec notre œil intérieur.

En tant qu’écrivains, nous souhaitons apporter le même plaisir à nos lecteurs et pour cela nous utilisons la description.

Au lieu de dire simplement, "Un homme alluma la mèche et s’enfuit avant que le bâtiment ne s’effondre", nous décrivons l’homme, la façon dont il a installé l’explosif et l’immeuble qui est sur le point de sauter. Nous décrivons également l’allée où il se cache, les gens qu’il voit passer dans la rue derrière lui et la géographie urbaine à travers laquelle il court pour échapper à l’explosion. Nous pourrions aussi détailler l’intérieur du bâtiment ciblé de la manière dont l’homme l’imagine : peut-être que les ecclesiastiques corrompus de la Cité (ou qu’il croit corrompus) sont assis sur d’épais coussins, vêtus d’une soie verte brodée de fleurs et d’oiseaux jaunes, auprès de leurs familiers, des félins ailés juchés sur des piédestals de marbre rose.

Je ne sais pas pour vous, mais j’aime déjà ces félins : alors ce type ferait mieux d’avoir une sacrée bonne raison pour les faire exploser, ou alors ils ont intérêt à y survivre !

Comme nous voulons que nos lecteurs visualisent nos histoires, nous partageons clairement un objectif avec les artistes visuels. Quelles leçons pouvons-nous retenir des arts visuels, et comment les appliquer à notre écriture ?

Point de vue

Lorsqu’un artiste dessine, peint ou photographie, il choisit le point de vue qui, selon lui, aura le plus d’impact sur celui qui regarde. Ou bien il peut interpréter le sujet avec de nombreux points de vue et décider de celui qui est le plus adapté en observant le résultat.

En tant qu’écrivains, nous choisissons également un point de vue qui nous paraît être le plus efficace pour raconter notre histoire. Souvent, le point de vue se suggère de lui-même, de façon intuitive. La voix caractéristique d’un personnage peut s’exprimer de manière insistante dans notre tête, et il est clair que c’est ce personnage qui racontera l’histoire. Ou peut-être, pour être à même d’observer avec attention un personnage fascinant en action, que nous voulons que l’histoire soit racontée par le point de vue d’un personnage moins intéressant (par exemple, les mystères de Sherlock Holmes ont bien plus d’impact lorsqu’ils sont racontés par le Dr Watson plutôt que par Holmes lui-même.) Parfois notre choix est dicté par un désir de cacher des informations au lecteur ; une intrigue, par exemple, est beaucoup plus surprenante lorsqu’elle est décrite du point de vue de la victime plutôt que de celui qui perpétue le crime. Quelquefois, le personnage le plus "compatissant" — celui qui est doté des meilleures intentions — nous attire tant que l’on souhaite utiliser son point de vue.

Nous faisons souvent des choix de point de vue parfaitement valables, dictés seulement par l’intuition. Toutefois, cela ne peut pas faire de mal de vérifier cette intuition de manière réfléchie. Approfondissons ce processus avec "The Truthsayer’s apprentice" (L’Apprenti de la Diseuse de Vérité), de Donato Giancola.

Le point de focalisation de ce tableau est de toute évidence l’homme à genoux. Nous le voyons subir une clé de bras qui semble particulièrement réaliste, et l’expression de son visage reflète parfaitement la sensation d’être agrippé par les cheveux. Tout le monde le regarde, dans la scène ; on voit le visage des autres personnages, mais pas suffisamment pour en savoir davantage sur eux que le fait qu’ils soient focalisés sur l’homme capturé. C’est son histoire.

Maintenant, considérons ce qui se passe si le point de vue change. Pivotons de 180 degrés. Nous sommes désormais juste derrière la femme. Son visage de profil remplit à peu près un tiers du premier plan de l’image. La scène qu’elle voit se trouve à l’arrière-plan. Nous prêtons une grande attention à l’expression de son visage. L’important, c’est la manière dont l’affecte la capture de cet homme. Est-elle triste ou heureuse de cet état de fait ? C’est son histoire.

Changeons de point de vue une fois encore. Désormais nous nous tenons derrière le captif, à gauche de la scène en cours (l’éclairage dans le tableau viendrait également de la gauche du cadre plutôt que de la droite, comme dans le tableau réel.) Le dos des trois hommes derrière le prisonnier occupe le premier plan. Entre eux, nous voyons clairement la déformation de son bras et la sueur sur sa joue tandis que son visage est défiguré. Et au centre de notre attention se trouve le visage de l’homme qui tire les cheveux du captif. C’est son triomphe ; il va avoir une réponse, ou bien cette épée va transpercer l’homme. C’est son histoire. La femme ne se trouve pas dans le tableau.

Même action, mêmes personnages... trois histoires différentes.

Qu’y a-t-il dans le tableau ?

Ce que nous incluons dans nos histoires et nos tableaux représente un autre choix fait respectivement par les écrivains et les artistes. Nous avons probablement tous fait l’expérience d’imaginer un monde vraiment génial comme cadre de l’histoire, puis d’être frustré parce qu’on ne peut en montrer que quelques fragments sous peine de laisser notre récit s’embourber.

Nous devons encadrer notre récit, ou mettre en place des limites autour de lui. Mais où placer ces cadres ? Notre histoire doit-elle être racontée à échelle panoramique, où les gens sont des points tout juste différenciés dans un paysage ou une bataille ? Ou bien racontons-nous un conte intime et claustrophobe des conflits inconscients qui se jouent dans la psyché d’une personne ?

Dans notre exemple, au début de l’article, avons-nous besoin de décrire en long et en large le contexte religieux/politique/socio-économique sur lequel cet homme pose des bombes ? Ou bien ces cibles pourraient-elles être des gens vaguement dotés de pouvoir, sa Cité un endroit vaguement méditerranéen/Moyen-oriental, sa technologie explosive d’une nature vaguement magique... tandis que les détails de l’histoire se focalisent sur ses efforts pour tenter de démêler sa propre moralité embrouillée ? Nous pouvons raconter l’histoire deux fois, mais selon les détails que nous incluons, il s’agit en fait de deux récits complètement différents.

Explorons plus avant ces choix en observant "Unwelcome guest" (Un Invité Inopportun), de Larry Elmore. Remarquez le cadenas sur le meuble à droite. Remarquez les bouteilles bouchées, les pots avec leur couvercle, et les petits fûts serrés sur les étagères. Remarquez les livres sur les étagères ! Remarquez les poutres en bois nu sur le stuc — d’architecture de style Tudor — et l’habit du commerçant. Même le bois du plancher est tendrement détaillé sous la douce lumière de la lampe. Qu’est-ce qui n’est pas détaillé ? Les clients. À part une vue rapide de pieds bottés et d’un visage barbu, nous ne voyons d’eux que leurs capes noires. La décision de l’artiste est de ne pas donner plus de détails que ceux qui maintiennent notre attention sur le commerçant et éveillent notre intérêt pour ce qui va lui arriver. Nous ne sommes pas distraits plus que de raison par des détails visuels intéressants concernant les clients.

Qu’est-ce qui est laissé de côté ?

De la même manière que nous décrivons différents éléments inclus dans notre histoire avec différents niveaux de détail, nous choisissons également de laisser de côté beaucoup de choses. Dans le premier exemple de cet article, nos lecteurs n’ont peut-être pas besoin de savoir que l’homme a eu du fromage de chèvre sur un croûton de pain rassis pour le déjeuner, que la place sur laquelle l’allée s’ouvre était le site du couronnement du dernier empereur, ou que l’un des ecclesiastiques dans le bâtiment s’était disputé avec sa femme ce matin. Ou peut-être que l’un de ces détails, ou tous, amènerait cette histoire à la vie pour nos lecteurs. Comment décider ?

Jetons un oeil à "At battle’s end" (Après la Bataille) de Julie Bell. Les ennemis qui fuient ou qui sont tombés ne nous sont pas montrés, pas plus que le sang sur la neige ou les arbres toujours fumants d’une explosion magique mal dirigée. Le visage des deux personnages est dépeint par des traits forts et une expression claire de fatigue et de détermination à la fois. Le paysage froid, illuminé de blanc fait écho à la fatigue ; l’ordre régulier des arbres fait écho à la détermination. L’artiste n’a pas placé de faucon ou d’oiseau chanteur sur une branche. Elle ne nous montre pas ce que ces deux personnes regardent. Elle ne remplit pas le paysage derrière les arbres, par exemple en nous montrant le coin d’une grange ou une haie à barreaux cassée. Au lieu de cela, notre attention est fixée sur les émotions de ces deux personnages, rendues par les expressions de leur visage et leurs épaules baissées, et renforcées par le paysage derrière eux. En laissant de côté tant de détails qu’elle aurait pu inclure, l’artiste rend la scène authentique.

Prêtez donc attention à l’art visuel. J’ai utilisé de l’art Fantasy pour les exemples de cet article, mais n’importe quel type d’art fera l’affaire. Ne vous contentez pas d’aimer ou ne pas aimer. Posez-vous des questions ! Pensez aux choix que l’artiste a faits — l’angle du point de vue, les détails inclus, tous les éléments potentiellement laissés de côté. Puis apportez consciencieusement les mêmes choix à votre écriture. Vous amènerez vos histoires à la vie aux yeux de vos lecteurs.

Les textes de science-fiction et de fantasy de Paula L. Fleming sont apparus dans nombre de publications, y compris gothic.net, Tales of the Unanticipated #20, #22 et #24, l’anthologie Such a Pretty Face de Meisha Merlin, et Extremes 3 : Terror on the High Seas de Loves Wolf Publishing. Diplômée de l’atelier Clarion (Clarion Workshop), Paula s’occupe d’une liste des marchés de fiction spéculative (mise àjour tous les trois mois). De jour, elle s’occupe des ressources humaines àla Wedge Community Co-op. Pour l’aider, elle a trois gros chiens, deux chats et un mari.

Cet article a d’abord été publié en anglais sur Writing-World.com - http://www.writing-world.com/.

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