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Réécrire

Par Caro Clarke

dimanche 1er octobre 2006.

Traduction par Leippya


Vous avez terminé votre roman. Bravo ! Maintenant le vrai travail peut commencer.

Travail ? protestez-vous. D’accord, peut-être quelques remaniements, mais le travail est terminé. Désolée. A moins que vous ne soyez un génie, vous vous trompez. Le premier jet de votre manuscrit n’est que la matière brute du livre final. Votre premier jet est une masse informe d’inspiration et de création, coulée à chaud à partir des feux de votre esprit et de votre coeur. Maintenant, elle refroidit et comme le fer, elle doit être battue dans son état final, tranchant et résistant, avant que la chaleur ne l’ait complètement quittée.

Certains commencent à réécrire sur le champ, avant de mettre le manuscrit en quarantaine. D’autres le mettent d’abord de côté, puis y reviennent quand leur regard est devenu plus objectif. Si vous avez tendance à vous désintéresser de votre histoire quand vous la mettez de côté après le premier jet, alors commencez la réécriture immédiatement. Le moment viendra où vous saurez qu’elle doit passer du temps dans le congélateur avant que vous ne soyez capable de voir quoique ce soit de nouveau.

Mais revenons au travail sur ce premier jet brut. Commencez par relire le texte en entier, en prenant des notes au fur et à mesure, sans essayer de rectifier de problèmes particuliers pour le moment. Ce que vous cherchez dans cette première relecture complète, ce sont les erreurs de cohérence, de rythme, de connexions, et de drame. Les erreurs dans ces domaines doivent être résolues avant de remanier la langue.

La cohérence recouvre beaucoup de choses. Les détails sont-ils constants, ou est-ce que la couleur des cheveux d’untel change au milieu de l’histoire ? Le passage du temps est-il clair ? Les gens parlent-ils tout le temps de la même façon ? Vous trouverez peut-être le membre d’un gang de banlieue qui oublie de parler argot. Les motivations sont-elles cohérentes ? Le parcours de chaque personnage au cours de l’histoire forme-t-il un tout intelligible, ou l’un d’entre eux souffre-t-il d’un changement de personnalité inexpliqué ? Les personnages errent-ils à travers l’histoire en faisant un méli-mélo d’actions sans raison cohérente ?

Ceci nous conduit au rythme. Les écrivains débutants ont tendance à paniquer en pensant que leur histoire ne sera pas assez longue, si bien qu’ils la rembourrent avec du polystyrène pour lui donner du volume, c’est-à-dire qu’ils coincent des scènes bouche-trous entre les scènes d’action. Le polystyrène ne nourrit pas le lecteur. Il l’ennuie. Durant votre relecture complète, faites une marque chaque fois que vous devenez impatient ou ennuyé. Votre histoire devrait être une ascension à partir du premier moment où votre protagoniste est poussé à agir, jusqu’à ce que le motif le poussant à agir soit résolu. S’il y a des passages longs et lents qui pourraient être retirés sans compromettre le déroulement de l’action, supprimez-les.

Les connexions. Les avez-vous intégrées ? Les connexions entre les personnages, comme montrer pourquoi deux personnes tombent amoureuses, ou pourquoi deux autres sont ennemies. Les connexions avec un lieu (qu’y a-t-il entre Scarlett O’Hara et Tara ?). Les connexions entre les événements en arrière-plan et l’histoire au premier plan, comme avoir des événements historiques en toile de fond qui reflètent ou contrastent l’action de votre protagoniste (par exemple, la fusillade de JFK qui a lieu alors que votre héros perd sa naïveté politique au Viêt Nam). Les prédictions sont aussi une connexion, reliant des actions passées et ultérieures. Si vous voyez des endroits où vous pouvez insérer ou renforcer des connexions qui enrichiront l’histoire, prenez-en note pendant votre lecture.

Le drame est la substance d’une histoire. Si ce n’est pas divertissant, cela ne mérite pas de rester. Y a-t-il un conflit ou quelque chose d’approchant dans chaque scène de votre premier jet ? Vous souciez-vous des gens desquels vous devriez vous soucier ? Ou vous êtes-vous égaré quelque part ? Une histoire qui s’est échappée et est partie gambader d’elle-même a tendance à ne pas avoir de structure dramatique. Elle se réduit à une maudite succession d’événements, les uns après les autres. La différence entre une histoire et un récit est que l’histoire est réalisée avec art, alors que le simple récit s’est développé "pour plaisanter". Une histoire est délibérément intéressante ; un récit l’est par accident, si tant est qu’il possède un intérêt quelconque.

Après avoir entièrement relu votre premier jet avec ces quatre aspects en tête, vous pouvez commencer à réécrire. Commencez à la première page et faites toutes les modifications que vous avez notées pendant votre première lecture, en vérifiant en permanence la cohérence des détails que vous changez. Imprimez la version révisée et parcourez-la de nouveau. Plusieurs fois. Commencez à affiner la langue, à élaguer (tels que les qualificatifs inutiles, les descriptions et monologues internes) et essayez de rendre chaque phrase à la fois originale et concise. Si vous n’avez pas encore mis le manuscrit de côté pour le laisser reposer, faites-le après quatre ou cinq réécritures. Votre regard et votre oreille interne auront besoin de la pause, et vous serez plus impitoyable quand vous y reviendrez.

Quand vous avez fait tout votre possible pour arranger le texte, examinez de nouveau les cinq ou dix premières pages du premier chapitre, particulièrement les cinq premiers paragraphes. Sont-ils aussi séduisants et palpitants qu’il vous est possible de faire ? Entraînent-ils le lecteur dans l’histoire ? La scène d’ouverture est votre unique chance de captiver un lecteur, par conséquent elle doit être réussie. Prenez autant de temps que nécessaire pour l’arranger de façon satisfaisante.

Et à ce moment-là, vous avez fini. Combien de réécritures devez-vous faire ? Certains en font trois ou quatre, d’autres une douzaine. Faites-en toujours une de plus que ce que vous pensez pouvoir supporter. Puis envoyez le manuscrit. Une fois qu’un éditeur l’aura accepté, vous recommencerez à tout réécrire - et c’est un travail que vous aurez envie de faire !

Caro Clarke est une Canadienne vivant àprésent en Angleterre. Elle provient du milieu académique, mais a rejoint le monde réel pour travailler dans l’édition àLondres. Elle a appris àcréer des sites Internet en cherchant àpromouvoir son premier roman, “The Wolf Ticket”, ce qui l’a menée àune nouvelle carrière dans le design web et le développement. En plus de son roman, plusieurs de ses nouvelles ont été publiées dans des anthologies. Elle est aussi une poète publiée. Elle aime voyager et acheter des livres, et il lui arrive de se déplacer juste pour en acheter. Elle vit dans le centre de Londres avec sa partenaire. Et ses livres.

Cet article a d’abord été publié en anglais sur le site de Caro Clarke - http://www.caroclarke.com.

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8 Messages de forum

  • Réécrire

    1er octobre 2006 12:13, par GabrielleTrompeLaMort
    Un article qui tombe àpic, alors que je dois réécrire de fond en comble une très longue nouvelle (celle sur la terre, pour ne pas la citer). Je ne comptais pas m’y ateller dès aujourd’hui mais ton article m’a motivée. Go, go, go, je peux le faire, surtout que ça a reposé un bon moment depuis. ^__^ Article très intéressant, et utile. Merciii ! :D

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  • Réécrire

    1er octobre 2006 12:21, par Andromède

    Eh bah moi ça me motive carrément pour finir déjàun manuscrit ^^ ;; ;;

    Très bon article !

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  • Réécrire

    2 octobre 2006 12:02, par Ness
    ça fait drôlement peur. Surtout le passage sur la structure dramatique, là. J’ai terriblement l’impression que la structure dramatique de mon histoire est tout éparpillée, ce qui ne présage rien de bon pour la phase de remaniement... :( Article vraiment passionnant, mais qui pousse àla réflexion. Cela dit, il y a des gens qui sont capables de faire tout de suite quelque chose de bien, sans avoir besoin de repasser cinquante fois dessus. Je pense que d’un côté, il faut savoir trouver le juste milieu. Certes, il y a des erreurs àcorriger, une cohérence, un rythme souvent àretravailler, mais si on passe trop de temps sur une histoire, elle perd toute spontanéité, et je crois que cela se remarque. L’éditeur sera de toute façon làpour reprendre chaque phrase jolie et la transformer en truc que vous trouverez sans doute immonde au départ, et je pense que la blessure sera moins grande si on a passé moins de temps sur son texte. Faire dix relectures pour s’entendre finalement dire que nos chères phrases que l’on trouve si magnifiques sont sans le moindre intérêt et pour finalement se retrouver au point de départ, ce n’est pas facile.

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    • Hum... 2 octobre 2006 13:38, par Leippya

      Je ne suis pas d’accord avec toi, ça me paraît normal de rendre son texte aussi bien qu’on est capable de faire. Je sais que tu as eu une mauvaise expérience avec un éditeur sur une de tes histoires, mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont tous des monstres insensibles qui ne cherchent qu’àdénaturer les textes. Leur boulot c’est plutôt de les rendre meilleurs et plus compréhensibles.

      Sà»r, c’est jamais facile de s’entendre dire "A refaire.", mais il faut ce qu’il faut... Extrêmement rares sont ceux aux premiers jets parfaits.

       :/

      Je sais, j’ai vu que tu avais énormément de talent, mais ça ne me paraît pas être une raison pour faire moins d’efforts :)

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      • Hum... 10 octobre 2006 10:07, par Ness
        Mais si le texte te paraît bien dès le départ, tu fais quoi ? Tu te forces àle retravailler, en essayant de le rendre encore mieux ? Il y a un dicton qui dit, le mieux est l’ennemi du bien. Je crois que c’est vrai. Parfois, en voulant améliorer, on gâche le petit plus qui faisait tout le charme du texte. Mis àpart ça, quand je parlais des gens qui faisaient bien dès le départ, je ne parlais pas de moi, cela va de soi. Mais il y a des gens qui écrivent un premier jet parfait, et àpart quelques erreurs de cohérence àcorriger par la suite, ils peuvent sans honte le publier tel quel.

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        • Hum... 10 octobre 2006 16:51, par Leippya

          Je pense que les premiers jets parfaits sont extrêmement rares, et que c’est facile de se satisfaire de son premier jet parce qu’on sait tout le travail qu’il y a derrière et que la pensée de tout revoir est éreintante.

          A mon avis, mieux vaut se considérer dans la norme — àsavoir ceux qui doivent s’y prendre àplusieurs fois pour obtenir un résultat correct. Imaginer qu’on est l’exception qui confirme la règle, c’est dangereux.

          Maintenant, si toute une quantité de parfaits inconnus nous disent que nos textes sont géniaux, et qu’il se trouve qu’il s’agit de premiers jets, pourquoi pas ? Tant qu’on ne se fie pas uniquement àson propre jugement...

          Mais bon, si c’est vrai que trop retravailler son texte peut lui faire perdre de son âme, c’est tout aussi vrai que des textes "simplement" bons auraient pu devenir excellents, mémorables et formidablement accrocheurs si l’auteur avait pris la peine de faire un effort supplémentaire.

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  • Réécrire

    7 octobre 2006 10:22, par Alda

    Excellent article en effet (surtout pour moi qui suis en pleine phase de remachinage) ! Ca en fait des choses àsurveiller. Au point d’afficher cet article dans son bureau pour ne rien rater ?

    Et j’adore la notion de "polystyrène", c’est tellement vrai...

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