Vous avez terminé votre roman. Bravo ! Maintenant le vrai travail peut commencer.
Travail ? protestez-vous. D’accord, peut-être quelques remaniements, mais le travail est terminé. Désolée. A moins que vous ne soyez un génie, vous vous trompez. Le premier jet de votre manuscrit n’est que la matière brute du livre final. Votre premier jet est une masse informe d’inspiration et de création, coulée à chaud à partir des feux de votre esprit et de votre coeur. Maintenant, elle refroidit et comme le fer, elle doit être battue dans son état final, tranchant et résistant, avant que la chaleur ne l’ait complètement quittée.
Certains commencent à réécrire sur le champ, avant de mettre le manuscrit en quarantaine. D’autres le mettent d’abord de côté, puis y reviennent quand leur regard est devenu plus objectif. Si vous avez tendance à vous désintéresser de votre histoire quand vous la mettez de côté après le premier jet, alors commencez la réécriture immédiatement. Le moment viendra où vous saurez qu’elle doit passer du temps dans le congélateur avant que vous ne soyez capable de voir quoique ce soit de nouveau.
Mais revenons au travail sur ce premier jet brut. Commencez par relire le texte en entier, en prenant des notes au fur et à mesure, sans essayer de rectifier de problèmes particuliers pour le moment. Ce que vous cherchez dans cette première relecture complète, ce sont les erreurs de cohérence, de rythme, de connexions, et de drame. Les erreurs dans ces domaines doivent être résolues avant de remanier la langue.
La cohérence recouvre beaucoup de choses. Les détails sont-ils constants, ou est-ce que la couleur des cheveux d’untel change au milieu de l’histoire ? Le passage du temps est-il clair ? Les gens parlent-ils tout le temps de la même façon ? Vous trouverez peut-être le membre d’un gang de banlieue qui oublie de parler argot. Les motivations sont-elles cohérentes ? Le parcours de chaque personnage au cours de l’histoire forme-t-il un tout intelligible, ou l’un d’entre eux souffre-t-il d’un changement de personnalité inexpliqué ? Les personnages errent-ils à travers l’histoire en faisant un méli-mélo d’actions sans raison cohérente ?
Ceci nous conduit au rythme. Les écrivains débutants ont tendance à paniquer en pensant que leur histoire ne sera pas assez longue, si bien qu’ils la rembourrent avec du polystyrène pour lui donner du volume, c’est-à-dire qu’ils coincent des scènes bouche-trous entre les scènes d’action. Le polystyrène ne nourrit pas le lecteur. Il l’ennuie. Durant votre relecture complète, faites une marque chaque fois que vous devenez impatient ou ennuyé. Votre histoire devrait être une ascension à partir du premier moment où votre protagoniste est poussé à agir, jusqu’à ce que le motif le poussant à agir soit résolu. S’il y a des passages longs et lents qui pourraient être retirés sans compromettre le déroulement de l’action, supprimez-les.
Les connexions. Les avez-vous intégrées ? Les connexions entre les personnages, comme montrer pourquoi deux personnes tombent amoureuses, ou pourquoi deux autres sont ennemies. Les connexions avec un lieu (qu’y a-t-il entre Scarlett O’Hara et Tara ?). Les connexions entre les événements en arrière-plan et l’histoire au premier plan, comme avoir des événements historiques en toile de fond qui reflètent ou contrastent l’action de votre protagoniste (par exemple, la fusillade de JFK qui a lieu alors que votre héros perd sa naïveté politique au Viêt Nam). Les prédictions sont aussi une connexion, reliant des actions passées et ultérieures. Si vous voyez des endroits où vous pouvez insérer ou renforcer des connexions qui enrichiront l’histoire, prenez-en note pendant votre lecture.
Le drame est la substance d’une histoire. Si ce n’est pas divertissant, cela ne mérite pas de rester. Y a-t-il un conflit ou quelque chose d’approchant dans chaque scène de votre premier jet ? Vous souciez-vous des gens desquels vous devriez vous soucier ? Ou vous êtes-vous égaré quelque part ? Une histoire qui s’est échappée et est partie gambader d’elle-même a tendance à ne pas avoir de structure dramatique. Elle se réduit à une maudite succession d’événements, les uns après les autres. La différence entre une histoire et un récit est que l’histoire est réalisée avec art, alors que le simple récit s’est développé "pour plaisanter". Une histoire est délibérément intéressante ; un récit l’est par accident, si tant est qu’il possède un intérêt quelconque.
Après avoir entièrement relu votre premier jet avec ces quatre aspects en tête, vous pouvez commencer à réécrire. Commencez à la première page et faites toutes les modifications que vous avez notées pendant votre première lecture, en vérifiant en permanence la cohérence des détails que vous changez. Imprimez la version révisée et parcourez-la de nouveau. Plusieurs fois. Commencez à affiner la langue, à élaguer (tels que les qualificatifs inutiles, les descriptions et monologues internes) et essayez de rendre chaque phrase à la fois originale et concise. Si vous n’avez pas encore mis le manuscrit de côté pour le laisser reposer, faites-le après quatre ou cinq réécritures. Votre regard et votre oreille interne auront besoin de la pause, et vous serez plus impitoyable quand vous y reviendrez.
Quand vous avez fait tout votre possible pour arranger le texte, examinez de nouveau les cinq ou dix premières pages du premier chapitre, particulièrement les cinq premiers paragraphes. Sont-ils aussi séduisants et palpitants qu’il vous est possible de faire ? Entraînent-ils le lecteur dans l’histoire ? La scène d’ouverture est votre unique chance de captiver un lecteur, par conséquent elle doit être réussie. Prenez autant de temps que nécessaire pour l’arranger de façon satisfaisante.
Et à ce moment-là, vous avez fini. Combien de réécritures devez-vous faire ? Certains en font trois ou quatre, d’autres une douzaine. Faites-en toujours une de plus que ce que vous pensez pouvoir supporter. Puis envoyez le manuscrit. Une fois qu’un éditeur l’aura accepté, vous recommencerez à tout réécrire - et c’est un travail que vous aurez envie de faire !
Caro Clarke est une Canadienne vivant à présent en Angleterre. Elle provient du milieu académique, mais a rejoint le monde réel pour travailler dans l’édition à Londres. Elle a appris à créer des sites Internet en cherchant à promouvoir son premier roman, “The Wolf Ticket”, ce qui l’a menée à une nouvelle carrière dans le design web et le développement. En plus de son roman, plusieurs de ses nouvelles ont été publiées dans des anthologies. Elle est aussi une poète publiée. Elle aime voyager et acheter des livres, et il lui arrive de se déplacer juste pour en acheter. Elle vit dans le centre de Londres avec sa partenaire. Et ses livres.
Cet article a d’abord été publié en anglais sur le site de Caro Clarke - http://www.caroclarke.com.